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troisième volume 1920-1928

centré toute mon énergie pour ce but ; il est vrai que je n’ai pas réussi comme je voudrais, mais tout autre idéal aujourd’hui n’a plus de quoi me prendre. J’ai des projets d’articles, de livres qui me remontent à la gorge et me fatiguent. Dans l’attente et l’expectative, je ne sais si je dois me donner tout entier à la littérature, advienne que pourra, ou continuer à m’embarrasser d’autres travaux qui m’ennuient, qui me rongent mon temps… Dans le provisoire, dans l’expédient et le temporaire, je vis constamment, ne me décidant ni à étudier, ni à écrire… ni à ouvrir mon Code… Rien ne me plairait comme de composer les deux articles dont vous me parlez. Ces travaux historiques m’absorbent et m’attirent. Une œuvre silencieuse et lente, composée dans la quiétude et la paix, dans le bonheur intense et profond de sentir, sous ses doigts, l’âme jeune de notre race tressaillir a des attraits qui sont bien convaincants.

Aussi, je ne sais à quoi me résoudre. Tous mes désirs se coalisent pour que j’accepte votre proposition. Mais l’accepter, c’est encore remettre la date de mes examens ; il est vrai que ce serait peut-être la même chose si je n’acceptais pas.

En toute sincérité, je vous soumets mes perplexités espérant que vous me donnerez le conseil qui me guidera.

Il n’aime pas le journalisme, ai-je dit. La petite expérience qu’il en possède l’a suffisamment édifié sur les périls du métier à qui manque l’irrésistible vocation. Dans une lettre du 5 novembre 1919, il m’explique là-dessus, en toute franchise, son sentiment :

Vous me parlez de journalisme dans votre dernière lettre. J’ai toujours cru que cette profession vidait un homme de ses idées à mesure qu’elles naissent et que sa sève ainsi appauvrie constamment l’empêche de pousser une végétation puissante. À moins que le tempérament soit très robuste, la nature très riche, ce dont il est difficile de se flatter. C’est vous dire que je ne serai jamais journaliste que par nécessité.

La nécessité seule le ferait journaliste ! Il y viendrait pourtant. Et la Providence l’y allait acheminer par un curieux chemin. En 1918, à ce qu’il semble, vers la fin de la première Grande Guerre, le voici qui tombe tout à coup dans les filets de la conscription militaire. Avant d’aller endosser l’uniforme, il a mis le dernier point à un article qu’il me destine. Cela s’intitule « L’arrivisme » : description tragique du jeune idéaliste tombé