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mes mémoires

et tout contenir, tout retenir, tout refouler : souffrances, obstinations, tumultes, révoltes, détresses qui nous laissent pleins de défaillances ; tout comprimer en soi énergiquement et sans pitié ; pour que jaillisse un jour, hautaine, violente et superbe, la fleur de son âme !…

Ces courts extraits nous en avertissent : un drame poignant se joue déjà au fond de cette âme de jeune homme. Le drame d’un esprit qui sent en soi les incoercibles germinations, mais aussi le souffle froid de la réalité brutale qui vient tout broyer. Léo-Paul Desrosiers est étudiant en droit et il n’aime pas le droit. Son cas est celui du petit campagnard que ses parents ont fait instruire dans l’espoir d’une vocation sacerdotale, et qui, pour n’avoir pu assumer la lourde vocation, se voit contraint à se débrouiller seul dans la vie. Pour vivre, gagner ses cours à l’Université, Desrosiers accepte de faire du journalisme ; dès 1919 il en fait au journal Le Canada et il n’aime pas le journalisme. Les lettres qu’il m’écrit en ce temps-là sont remplies des accents de sa misère : déchirement intérieur dont il ne sait comment sortir. Parti de Montréal pour s’en aller prendre à Québec, espère-t-il, un meilleur emploi qu’au Canada, il me confie sa constante désolation (15 octobre 1919) :

Ne me demandez pas où j’en suis rendu de mes études. Ma nouvelle position et ses responsabilités me gruge tout mon temps, minute à minute, et me fatigue encore si c’est possible. Quand je peux trouver quelques instants de libres, je les consacre à rédiger quelque court article, car cela me repose. Me voici rendu, moi qui fus toujours un lecteur enragé, à n’avoir plus que le temps de lire Le Devoir. Et ce sont les heures de méditations et de réflexions, si douces, qui manquent.

Quelque temps auparavant, je lui ai proposé deux sujets d’articles pour L’Action française, des sujets d’histoire autant que je peux me souvenir. Voici la réponse qu’il m’écrit de Québec, le 11 août 1919, réponse où on le voit toujours tiraillé entre ses études de droit et sa passion d’écrire :

Quant aux deux articles… C’est un vrai supplice de Tantale. Je ne peux refuser ces choses-là et il faudrait que je les refuse. Voyez-vous, depuis que je suis jeune, je travaille constamment à faire de toutes mes facultés, des facultés d’écrivain. J’ai con-