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troisième volume 1920-1928

et du travail littéraire… Acculés à cette impasse, aux moments d’amère solitude, qu’ils se souviennent des défricheurs hardis, autrefois, à l’heure du crépuscule d’hiver. Une angoisse s’épanche de la forêt hostile qui se détache sur la blancheur de la neige et le bleu trop dur du ciel ; on dirait que la nature immobile subit la souffrance indicible du froid, que les choses ont des plaintes, que le pressentiment d’une douleur surhumaine envahit les êtres. Isolé dans son abri de billots équarris, seul avec la femme dont il aime l’apaisante, la silencieuse douceur, le colon français, pénétré de toute la mélancolie immense de la terre, sentant l’insécurité de sa vie, de son amour et de son rêve triomphant, s’abandonne à la nostalgie troublante de la France, cependant qu’au dehors le vent soulève la neige en larges nappes qui claquent comme des voiles.

Il a persévéré, malgré tout, le Français nostalgique, et la pérennité de son œuvre témoigne de la grandeur de ses sacrifices.

Magnifique allégorie. Morceau d’anthologie qui, dans le temps, avait charmé cet homme de goût et d’esprit si fin qu’était l’abbé Georges Courchesne (le futur archevêque de Rimouski), qui le cita avec éloge dans son discours pour la distribution des « Prix d’action intellectuelle » de l’ACJC.

On ne goûtera pas moins cette fin d’un autre article donné à L’Action française, en décembre de cette année 1919, sous le titre : « Les grandes pressions ». Les « grandes pressions », ce sont les influences maîtresses qui pèsent sur l’artiste ou l’écrivain : influences de la race, du milieu, du moment, qui, si elles « ne sont pas une explication parfaite d’un auteur… montrent du moins les racines des productions et la matière employée ». L’auteur de l’article jette à la fin cet appel à ses frères, les travailleurs intellectuels :

Pour atteindre au succès, exciter en nos âmes l’influence des « grandes pressions environnantes » ; marcher toujours avec sa hotte sur l’épaule afin de glaner, de récolter, le long des routes ; contempler, d’un regard attendri et accueillant, d’un bon regard fraternel, ami des choses ; écouter les harmonies chanter, les harmonies des forêts d’automne et des grands vents crépusculaires battant les monts comme des récifs ; dans la solitude, sur son pays, sur sa race, s’exalter un peu ; s’exalter ensuite beaucoup, et de plus en plus, jusqu’aux sommets sublimes ;