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C’est encore le même qui, dans une autre de nos enquêtes : « La défense de notre capital humain », refuse de croire à l’âge d’or de l’industrialisation que nous annoncent les prophètes de la politique. Il écrit :

Nous constatons bien que des capitalistes étrangers viennent chercher chez nous la fortune. Mais n’est-ce pas précisément parce que trop d’étrangers viennent la chercher ici, que la Fortune ne trouve plus à nous jeter, à nous, les fils du sol, que les miettes de sa corne épuisée ?

Je laisse de côté, pour le moment, les idées extrêmement opportunes qu’il développait dans notre enquête « Vos doctrines ? », enquête sur le comportement de la jeune génération. J’y reviendrai. En cette collaboration de Minville à L’Action française, je ne note plus que sa conclusion à un long article qui est de 1928, et sous le titre : « L’éducation économique ». Je le note parce qu’on ne lira pas sans intérêt ces lignes de celui-là même à qui, vingt-quatre ans plus tard, l’on devait confier la fondation d’une chaire de civilisation canadienne-française, à l’Université de Montréal. Minville ne voulait point d’une civilisation partiellement française et partiellement américaine. Hybridation qui lui paraissait chimère. Mais,

ce dont nous pouvons et devons parler, c’est d’une civilisation essentiellement française qui se développera en obéissant aux impulsions de notre milieu. Ce que nous devons ambitionner, c’est de constituer ici une branche canadienne de la civilisation française, comme il existe une branche italienne et une branche française de la civilisation latine. Et cette civilisation essentiellement française, nous la perpétuerons intégralement ou nous cesserons d’exister comme entité ethnique distincte. C’est le fond qu’il importe de ne pas laisser entamer. Qu’il nous faille pour cela nous assurer le plus tôt possible la puissance économique, c’est évident. Nous l’acquerrons d’ailleurs d’autant plus vite que nous saurons plus rapidement développer en nous assez de virilité ethnique pour nous imposer dans notre milieu et nous créer une tradition commerciale conforme à notre génie propre.

Il faudrait plus que ces quelques citations, je ne l’ignore point, pour rendre justice à la maturité d’esprit de Minville d’il