Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
troisième volume 1920-1928

Il participe à trois de nos grandes enquêtes : « L’ennemi dans la place », « La défense de notre capital humain », « Vos doctrines ? ». En quatre articles, sous la signature de Jacques Dumont — puisqu’en ce monde de toutes les libertés, un esprit libre ne peut souvent dire ce qu’il pense que derrière un écran, — il publie, en 1927, ce qui sera, en ce temps-là, son étude maîtresse : « Méditation pour jeunes politiques ». À quoi s’ajouteront quelques notes substantielles sur son petit pays natal : la Gaspésie. Il est intéressant de relire, après vingt ans, ces études d’un homme qui débutait alors dans la carrière intellectuelle. Certains esprits n’arrivent à la maturité que par étapes progressives, en tâtonnant, parfois même au prix de faux pas, de retours en arrière. D’autres, de trempe robuste, portent en eux, tel un germe vivant, leurs idées de fond, leur système de pensée, qui n’auront plus, avec le temps, qu’à se développer, qu’à s’enrichir, selon les lignes d’une logique rigoureuse. Ce sera le privilège de Minville. Je lui dirai, le recevant quelques années plus tard à la Société Royale :

Dans votre Méditation pour jeunes politiques, n’ai-je pas cru discerner les lignes essentielles de votre pensée d’aujourd’hui ? Trois idées me paraissent les idées directrices de tous vos écrits et discours.

Trois idées que j’énonçais, ce jour-là, comme suit : foi en une sociologie chrétienne, interdépendance des problèmes dans la vie d’un peuple, soumission au réel, c’est-à-dire doctrine formulée en fonction du pays auquel on la destine. C’est lui qui, dès 1924, dans notre enquête : « L’ennemi dans la place », donne cet avertissement toujours d’actualité — il s’agit encore de la menace du capital étranger :

Ne serait-il pas temps que ceux qui ont en mains l’orientation et l’avancement de notre peuple définissent leur attitude, adoptent un programme, agissent désormais suivant un plan préétabli, inspiré d’une idée, clairement, nettement déterminée, ne laissant aucune place à l’équivoque ou à l’alternative ? Depuis assez longtemps, nous allons tâtonnant, plus ballottés que guidés, obéissant davantage à un sentiment instinctif qu’à une direction intelligente. L’heure est venue d’une action concertée vers un but unique : l’épanouissement de notre vie nationale. L’avenir du Canada français n’est-il pas au-dessus de toutes les brigues et intrigues de coteries ?