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mes mémoires

je vous lis avec avidité : à tel point parfois que je me demande si je n’ai pas abdiqué ma liberté de pensée, qui m’est pourtant très chère, à votre égard. Je ne suis tout de même pas inquiet pour cela…

Début d’une amitié qui, en dépit de l’épisode fâcheux du Bloc populaire, et que j’espère raconter, dure encore.

Mes relations avec Esdras Minville et Léo-Paul Desrosiers ne connaîtront pas ces orages.

Esdras Minville

Où ai-je rencontré, pour la première fois, ce frêle jeune homme, d’apparence tout en faiblesse, en timidité, en modestie, et qui pourtant portait dès lors en soi, un cœur si noble et un esprit de si riches promesses ? Il y a de ces événements dans la vie dont l’on voudrait se rappeler les moindres circonstances, tellement, avec le temps, le prix s’en est accru. J’étais lecteur assidu de La Rente d’Asselin. J’ai dû lire quelque bout d’article signé de ce nom, encore inconnu pour moi : Esdras Minville. Ou quelqu’un de nos amis aura attiré mon attention sur cette signature. Mgr Olivier Maurault dira un jour, ce sera au banquet Minville, le 17 décembre 1938 : « J’étais vicaire à Saint-Jacques quand j’ai fait connaissance avec M. Minville. Je l’ai envoyé à l’abbé Groulx. Il est entré dans le mouvement intellectuel et social. Je n’ai joué là-dedans que le rôle de poteau-indicateur. » Il est possible que les choses se soient ainsi passées. Fidèle à ma consigne d’aller à la découverte du talent et d’embrigader surtout le talent jeune, je priai le jeune Minville d’écrire quelque chose pour L’Action française. Il s’agissait d’un article qui porterait ce titre : « Les Américains et nous ». Je me sentais effrayé par l’afflux chaque jour alarmant du capital de nos voisins dans nos structures industrielles et financières. Je souhaitais qu’on attirât l’attention de notre public sur le périlleux phénomène. Le 28 juin 1923, je recevais de Minville cette première lettre où on le trouve déjà presque en entier avec sa serviabilité et sa modestie intellectuelle :