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d’un mouvement révolutionnaire, en voie de saper les bases de la Confédération. L’on n’est pas encore habitué à pareilles audaces de pensée. Oser dénoncer la Confédération comme un piège, une faillite ! Oser préconiser la formation d’un État français indépendant ! Le seul mot « État français », même entendu dans le sens où nous l’entendions : un Québec autonome, gouverné enfin comme une province française, c’est-à-dire conformément à son être ethnique et historique, qu’est-ce que tout cela sinon un idéalisme creux, témérité propre à provoquer l’hystérie de toute la horde des politiciens ! Quelques aumôniers de l’ACJC — l’ACJC est devenue groupe d’action catholique, c’est-à-dire en méfiance contre toutes les œuvres d’action nationale — ont réussi à soulever contre l’Action française, « école du nationalisme intégral », une portion de la jeunesse. Au journal L’Action catholique de Québec, un abbé politicien, l’abbé D’Amours, conservateur tory, ne pardonne pas aux nationalistes canadiens-français leur opposition acharnée à la participation du Canada à la Grande Guerre de 1914. Au nom de l’orthodoxie doctrinale dont il joue en habile sophiste, bien que journaliste très lourdaud, il s’emploie tenacement à brouiller les cartes. Personnage funeste qui paralysera l’intéressant mouvement de pensée nationale suscité à Québec par la Société du Parler français et par le Premier Congrès de la Langue française et à qui l’ACJC accordera, trop longtemps, une trop généreuse audience. À Québec donc, dans le milieu étudiant, le malaise est considérable, et il va durer longtemps. Déjà, en juin, l’un de nos meilleurs amis parmi les jeunes et qui n’est nul autre que le président général de l’ACJC, Me Joseph Blain[NdÉ 1], a cru opportun, à un congrès régional de l’Association dans la capitale, de faire la mise au point que voici :

La Ligue d’Action française et l’A.C.J.C. sont deux associations, deux entités absolument distinctes, indépendantes l’une de l’autre ; mais, vu que nous poursuivons partiellement le même but, nous devons nécessairement nous rencontrer sur plusieurs terrains. Sans être venu ici comme avocat de l’Action française, je vous prie cependant de ne pas oublier, quelles que puissent être vos opinions personnelles par ailleurs, que cette Ligue d’Action française est formée de gens fort distingués, très sincères et très dévoués, dont plusieurs, de plus, sont des fonda-

  1. Voir la note 26 de ce volume.