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mes mémoires

Une race de lions ?

Quelqu’un qui a pu traverser, en ces derniers temps, les bureaux de la Commission fédérale d’enquête sur le tarif, nous écrit : « Savez-vous ce que font nos bons commerçants et industriels canadiens-français de la province de Québec ? Presque tous écrivent en anglais à cette Commission qui est pourtant d’institution fédérale et qui tient à son service un personnel canadien-français. Se peut-il manque plus absolu de dignité, un je m’en foutisme plus complet des intérêts de sa race ? »

Quand on nous révèle quelqu’une de ces grandes bêtises, nous nous rappelons toujours ce délégué d’Irlande au premier Congrès international de la jeunesse catholique à Rome [en 1921], lequel parlait couramment le français et l’italien et qui cependant tint à prononcer son discours en langue gaélique, quitte à le faire traduire en français, l’instant d’après, par un de ses compatriotes. Voilà comme s’affirment les races tenaces, promises à la conquête intégrale de leur droit. Et dire qu’il se trouve encore parmi nous des péroreurs pour nous prêcher la tolérance, la modération, le pacifisme en toutes ses formes et ses stupidités, comme si nous étions une race de lions.

Les funèbres imbéciles !

J. B.

Eh oui, de toutes ces mêmes revendications, nous faisions une question de dignité, de respect de nous-mêmes. Au Congrès de la Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en 1924, je servais la même leçon de fierté à nos compatriotes, à propos de la fête nationale et de la façon de la célébrer :

En cette province où nous sommes chez nous, où nous formons la grande majorité de la population, obtenons que le 24 juin devienne jour férié. Notre dignité de peuple l’exige. Et dans cinquante ans, le retard que nous aurons mis à réclamer cette chose si simple servira à démontrer jusqu’à quel degré d’insouciance nous étions tombés.

N’est-ce pas toujours le même souci, les mêmes constatations désolées que j’exprimais dans un mot d’ordre de janvier 1924, sous le titre : Vaincus ou vainqueurs ?