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troisième volume 1920-1928

La province de Québec ne s’achemine-t-elle pas rapidement vers ce dernier péril ?

Mise en garde qui s’interdit pourtant le négativisme. Et voici aussitôt contre-indiqués le remède ou la réaction :

Plus que jamais l’opinion publique doit se tenir éveillée. Ayons peur des succès trop rapides, véritables défaites qui se soldent par la domination de l’étranger. Songeons que notre capital n’est si faible que parce qu’il est inorganisé ; une portion trop considérable est encore inactive ou opère contre nous dans des institutions étrangères. Saurons-nous créer des organismes économiques qui orientent toutes nos activités, toutes nos ressources vers les fins nationales ? Saurons-nous développer, parmi nos compatriotes, un état d’esprit qui admette spontanément cette orientation ? Disons-nous, plus que jamais, que l’indépendance économique est une condition de survivance.

Peut-être nous accordera-t-on qu’il y avait quelque mérite à faire preuve de cette clairvoyance en 1923 ? Penser, dire, en effet, que ces choses ont été écrites, il y a plus de trente ans, et qu’elles demeurent toujours d’une si cruelle actualité ! Si nous avions le cœur de nous amuser, il nous paraîtrait réjouissant, par exemple, de voir aujourd’hui nos autorités fédérales elles-mêmes dénoncer l’invasion trop massive du capitalisme de nos voisins. Et dire qu’en ce temps-là, nous, les petits mousquetaires de l’Action française, nous passions aux yeux de nos propres compatriotes canadiens-français, pour des cerveaux brûlés, des révolutionnaires au petit pied ! On pourrait relire encore le mot d’ordre de décembre 1922 qui s’intitule : « Récapitulons ». L’auteur propose cette fois, en cette fin d’année, une prise de conscience de l’ensemble des besognes toujours inachevées et qui attendent les laborieux : reculs à racheter dans le bilinguisme fédéral ; respect encore incomplet de la loi LaVergne par les compagnies d’utilité publique ; maquillage anglais à faire disparaître de nos villes, villages et campagnes ; parties de l’enseignement trop anglicisées ; envahissement du cinéma américain et corruption des mœurs qui s’ensuit ; intérieurs des foyers canadiens-français à refaire à la française ; libération de nos forces économiques ; émancipation de nos classes ouvrières de l’engrenage de l’Internationale américaine ; arrêt de l’immense coulage de nos capitaux vers les institutions étrangères ; lents progrès de notre industrie, le domai-