religieuse. Rentré au pays, à qui, à quoi, à quelle besogne se vouerait-il ? Sa conversion avait-elle assagi le frondeur ? Ses amis se le demandaient avec autant d’inquiétude que d’espoir. Asselin songea d’abord à la fondation d’un nouvel hebdomadaire, qui se fût appelé le Garde-fou. Projet mort-né. Un bon matin, l’on apprit que le journaliste s’était laissé tenter par une maison d’affaires de courtiers en finance, la maison Versailles-Vidricaire-Boulais. La firme était devenue un symbole, une tentative d’émancipation en un domaine où, en ce temps-là, les Canadiens français comptaient à peine. Asselin y rédigerait un petit journal de propagande : La Rente. La feuille publicitaire devint une sorte de conseiller en matière de placements ; mais surtout Asselin y prêcha aux siens l’émancipation économique. Malheureusement ce petit homme, aux yeux noirs si vifs quoique un peu douloureux, au teint bilieux, au nez légèrement retroussé, la lèvre supérieure relevée en une moue dédaigneuse, n’était pas, on l’a vu, l’esprit le plus équilibré du monde. C’était un grand passionné : sa force, mais aussi sa faiblesse. Volontiers donnait-il dans les excès, les écarts de jugement. Certains jours, son imagination fonctionnait, eût-on dit, comme un verre grossissant. Une peccadille, un écart de plume ou de parole de l’adversaire ou même des amis prenaient à ses yeux la forme d’abominations. Il s’emportait pour ces vétilles, se jetait en des polémiques hargneuses, interminables. Quand il disait : « Je vais prendre ma hart », on savait ce que la
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troisième volume 1920-1928