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mes mémoires

bert, et je reprenais allègrement le chemin de fer pour Québec ou Montmagny.

Comme nous nous aimions et combien nous étions unis ! Pour moi ces jours sont gravés trop profondément dans mon cœur, rien ne pourra en effacer le souvenir.

Nous n’avions que notre jeunesse et c’est généreusement, avec joie, que nous la prodiguions au service de la patrie.
(Trente ans de vie nationale, 123-124)

Fervent lecteur du Nationaliste, au temps de Valleyfield, je connaissais pourtant peu Asselin avant mon arrivée à Montréal, ai-je dit tout à l’heure. Je savais d’ailleurs qu’entré au Devoir en 1910, l’intempérant polémiste en était sorti assez promptement, après avoir attiré au journal une volée de poursuites judiciaires pour libelle. Puis, avec Fournier, lui aussi en rupture avec Le Devoir, il avait fondé un autre hebdomadaire : L’Action. La guerre de 1914 était venue qui avait brouillé Asselin avec ses anciens amis nationalistes. En effet, un jour, on apprit que le farouche antiimpérialiste venait de s’enrôler dans l’armée canadienne. Oh ! sans doute, il prétendait bien ne pas s’en aller au service de l’Empire britannique. Dans sa brochure : Pourquoi je m’enrôle, il s’en explique avec un peu d’embarras. Il se défend de faire le jeu des politiciens impérialistes au Canada, et pas davantage celui des bonne-ententistes. Son geste, il le sait et il le dit, ne changera rien au fanatisme alors déchaîné des Anglo-Canadiens. S’il s’enrôle, c’est pour se porter au secours de la France, terre, mère nourricière de la civilisation française, la nôtre, gravement menacée. Noble excuse ; mais elle venait à l’encontre de tout le passé de ce nationaliste d’hier ; elle contrecarrait la résistance de ses compatriotes aux menées des bellicistes. L’enrôlé pouvait-il ne pas s’aliéner l’opinion, cacher le geste trop évident d’une pirouette ? Je l’avoue, ces divers événements m’avaient passablement désenchanté de mon ancienne idole. Asselin allait pourtant revenir de la guerre, paré d’une nouvelle auréole : l’auréole du converti. Là-bas, en lisant, entre autres, un petit livre de Hugh Benson, il avait retrouvé la foi ; il s’était remis à la pratique