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premier volume 1878-1915

nous sommes toujours bien entendus. Un jour qu’il avait négligé — c’était pour la seconde ou troisième fois — sa « préparation grecque », je l’invitai à sortir de la classe et à se présenter chez le préfet des études. Fournier ne m’en voulut point. À la récréation suivante, il venait s’excuser et causer comme si rien ne s’était passé. Fournier était intelligent. Peu fort en thème, il excellait en version. En ses versions, je ne pouvais m’empêcher d’admirer le tour d’élégance qu’il savait leur donner. Quoi qu’ait écrit Asselin de son français de ce temps-là, Fournier écrivait déjà fort correctement, quand il s’en donnait la peine. Une fée, eût-on dit, lui avait jeté au bout des doigts, le don magique, le tour de la phrase française. Je l’ai assez fréquenté pour le bien connaître. Surveillant ou non, j’avais l’habitude d’aller passer mes récréations au dehors avec les élèves. Souvent Jules Fournier avec son compagnon préféré Maxime Raymond, quand ce n’était pas Émile Léger, venaient me joindre. Que de causeries nous avons prolongées ensemble, jeunes péripatéticiens, sous les saules de la cour ! Nous sommes en 1902. La guerre des Boers, avec ses implications canadiennes, a secoué les milieux de jeunesse. Des souffles nouveaux passent dans l’air. Dans un ciel politique plutôt bas et nuageux, Bourassa, c’est enfin l’étoile dans la nue. Je suis abonné à La Vérité de Tardivel, le seul journal dont on tolère la lecture au Grand Séminaire de Valleyfield. Le petit journal québecois commente, chaque semaine, avec un rare bon sens, les événements les plus marquants de la vie canadienne. Je puis donc mettre au courant de l’actualité, ces rhétoriciens de curiosité avide, trop prisonniers dans leur enclos. En ces causeries à bâtons rompus, mais dirigées, aiguillonnées par mes jeunes compagnons de promenade, aurai-je aidé Fournier à former le premier noyau de ses idées nationalistes ? Je n’en sais rien. Lui seul aurait pu le dire.

C’était un élève difficile qui exigeait beaucoup de ses maîtres. Ses lectures — celles d’un infatigable liseur — le mettaient en avance sur ses camarades, et le dirai-je, sur la plupart de ses professeurs. Il souffrait de ne pas trouver autour de soi tout