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mation seraient de meilleure santé et de plus ferme équilibre, si, en leurs lectures, ils avaient accordé aussi large place à Veuillot et à de Maistre qu’à Gide, Sartre ou Malraux. Puisque j’ai prononcé le nom de de Maistre, je bénis celui de mes maîtres qui fit qu’à la fin de ma Philosophie 1ère année, on me donna en prix Du Pape du célèbre écrivain. J’en garde encore l’exemplaire avec mes barbouillages au crayon. Je reviens un moment à Veuillot. Je sais qu’il n’est pas bon de se vanter de l’avoir lu. Les catholiques de France d’aujourd’hui sont profondément injustes et ingrats à l’égard de Veuillot. Ils lui prodiguent rancunes, mépris et anathèmes, encore plus généreusement qu’à ses adversaires de l’époque, même incroyants. Il leur a rendu la fierté de leur foi et ils ne lui en savent pas gré. Pour ne pas se laisser prendre aux attitudes émollientes de ces catholiques de France et même de notre pays, je conseillerais à la jeunesse de lire la magnifique préface que Claudel a bien voulu écrire pour le Louis Veuillot de François Veuillot (éd. Alsacia). Elle y verra combien Claudel admirait « l’indignation généreuse », la « fureur sacrée » de Louis Veuillot. En la personne de Veuillot, écrit encore Claudel, « la France… suivant l’invitation prophétique de Joseph de Maistre, se réconciliait avec le Pape ».

Incontestablement Veuillot avait reçu le jour de sa conversion un don de foi extraordinaire. Un don de cette sorte ne va point sans beaucoup de clairvoyance humaine et beaucoup de charité. Veuillot voyait clair sur les hommes de son temps. Il aimait ses frères ; il aimait surtout l’Église. De là ses colères contre les mécréants et autres qui préparaient l’incroyance de deux à trois générations de Français. Il est inconcevable que des catholiques, des religieux, des évêques n’aient pas mieux compris, même aujourd’hui, la mission du grand polémiste.

Pour lors cependant, les pronostics sur mon avenir littéraire se font plutôt modestes. Parmi mes confrères, je suis surtout réputé pour un fort en mémoire et en thèmes, sans dispositions bien marquées pour la littérature. Ce sera un jeu pour moi d’apprendre, de mémoire, en quelques heures, le deuxième livre de l’Énéide. Après traduction en classe, j’apprends de même l’homélie de saint Jean Chrysostome sur les Spectacles. Entre le latin et le grec, je me souviens que mes préférences vont au grec. Je me