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mes mémoires

impassible à la joie folle et arrogante de mes camarades rivaux. À la maison, ce soir-là, quand je réintégrai le foyer, avec mes lauriers d’orateur notablement défraîchis, ni mes frères, ni mes sœurs, ni mon père, ni surtout ma mère, ne me parurent gais, mais point du tout. Finie, éteinte, la petite gloire de village et son enchantement éphémère !

Par cette campagne électorale, a-t-on dit parfois, j’aurais néanmoins gagné d’aller au « grand collège ». Non, la chose était d’ores et déjà décidée dans ma famille. Le niveau social y était modeste ; mais il y avait l’ambition de le dépasser : l’ambition de l’économie, de l’épargne, du travail pour libérer la terre de ses dettes, devenir propriétaire libre, donner aux enfants plus d’instruction qu’on en avait reçue, pousser si possible un fils aux grandes études, faire de lui un prêtre… ! Quelle famille paysanne, même de ce temps-là, ne nourrit pas cette aspiration ? Il n’en reste pas moins que le geste du colonel Antoine Chartier de Lotbinière, le colosse à barbe d’argent, qui, le jour de l’appel nominal, après l’un de mes discours, se détacha de la foule pour me serrer ostensiblement la main et me féliciter, comme de raison, d’avoir défendu les bons principes, ce geste du grand chef bleu ne manqua point de fortifier la décision de mes parents. Comme quoi la politique mène parfois à quelque chose.