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premier volume 1878-1915

du alors : Le Miroir des âmes. Que de fois nos yeux d’enfants se sont penchés sur les scènes de l’enfer, scènes de démons encornés, pourchassant à coups de fourches, dans les flammes éternelles, les pauvres damnés ! Que de fois aussi nous avons suivi avec tremblement la montée des rares élus par la pente étroite et escarpée, vers la porte d’un paradis qui nous paraissait si haut perché ! L’Académie ne possédait pas, non plus, de bibliothèque. Mais des livres, il s’en trouvait dans les familles de quelques-uns de mes camarades. Walter de Lotbinière-Harwood, qui avait pour mère une Terroux, femme cultivée, abonnée même à quelques revues de France, me passa quelques volumes. Henri Desrosiers, le futur colonel et futur vice-président de l’Imperial Tobacco, dont le père était médecin et homme instruit, alimenta aussi ma fringale de jeune liseur. J’ai surtout lu les quelques volumes que j’ai pu gagner aux distributions de prix : premier noyau de ma bibliothèque d’écolier. Je note, par exemple, Simon et Simone, de Marthe Bertin, l’un de ces petits cartonnés assez insignifiants de la Maison Mame, à couverture rouge, ornée de quelques dorures. Simon et Simone, c’était, en quelque 143 pages, le récit d’une aventure d’amour plutôt naïve, mais dont ma jeune sensibilité ne laissa pas de s’enchanter. À l’âge de douze ans, je décrochai un prix de l’inspecteur : François de Bienville, par Joseph-Étienne-Eugène Marmette. Ah ! ce roman historique, évocation des grandes années de M. de Frontenac, et en particulier, du siège de Québec par Phipps, combien de fois l’ai-je lu et relu ! Bienville, Sainte-Hélène, Maricourt, Frontenac, et voire l’Iroquois Dent-de-Loup peuplèrent de leurs fantômes mon premier monde de héros. Serait-ce là que j’aurais pris le goût de l’histoire ? Dans la liste de mes lectures, je fais encore place à un roman-feuilleton du journal L’Étendard, Le serment du corsaire, roman d’aventures de guerre maritime, d’abordages audacieux, de l’époque barbaresque, que j’ai peut-être lu dix fois, faute d’autres mets à dévorer. Le soir, assez souvent, après souper, notre mère lisait, à haute voix, pour