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V

FIN DU TÂTONNEMENT

Par bonheur j’en ai fini de mes tâtonnements. J’aperçois avec netteté, du moins l’ai-je cru dans le temps, les lignes définitives qui devront me guider, m’orienter désormais dans l’organisation de mon enseignement. Mes amis ne cessent de me pousser vers l’étude du Régime britannique. Ce n’était pas commencer par le commencement. Mais l’important pour les nôtres, me disait-on, « c’est de connaître leur histoire depuis 1760 ; c’est d’y ressaisir la ligne de notre destinée ». « C’est l’époque que nous connaissons le moins, ajoutaient quelques autres, et pourtant celle qu’il faudrait surtout savoir. » Vue assez juste, de la part d’un petit peuple de courte histoire et de courte expérience et dont le destin s’est trouvé chaviré par la catastrophe de la conquête anglaise. Je cède à ces instances. Et c’est ainsi que, dès 1917, j’entreprenais résolument l’étude, tranche par tranche, du Régime britannique. Dans mon dessein d’alors, je me proposais d’y mettre dix ans, pour ensuite aborder le Régime français et lui consacrer le même temps. De là, pensais-je, en mon illusion de débutant en la carrière, pourraient sortir une dizaine de gros volumes, dont cinq pour chacun des régimes. Et ce serait l’œuvre de ma vie, le magnum opus. Jeune, plein d’ardeur au travail et plein d’endurance, je crois alors chose possible, aux forces et à la vie d’un seul homme, d’écrire l’histoire d’un pays et d’un peuple. Quel homme ne porte pas en soi quelque grand dessein brisé, sous ce lit de feuilles mortes où pourrissent tant d’illusions ?