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deuxième volume 1915-1920

historien, même un historien, a grand-peine à garder son sang-froid. Me suis-je départi ici et là de la sérénité du métier ? J’en ai bien peur. Je me suis laissé aller à quelques allusions par trop évidentes aux malaises de l’heure. En mes conclusions, par exemple, pour réconforter les inquiets, les découragés, j’ai tiré quelques leçons ; j’ai même osé évoquer la fragilité des grandes puissances ou des empires. Audaces qui allaient m’attirer des contrecoups — on le verra plus loin — jusqu’à la Société Royale du Canada. Parmi les miens, je m’en vais susciter d’autres réactions, à peine moins malveillantes. Toutes les générations depuis 1867, et voire la mienne, ont été élevées dans le culte des « Pères de la Confédération ». Pour nos maîtres, ils prenaient figure de personnages historiques sacrés, canonisés ; bref des surhommes que l’on ne discute ni ne mesure. Or, le premier parmi les historiens du Canada français, j’aborderai, et à la maigre distance d’un demi-siècle, cette histoire des origines de la Confédération. J’avais, en outre, le dessein de l’aborder en toute liberté d’esprit, en totale objectivité. Or, dès les premiers pas, hélas, il m’apparut qu’il me faudrait raccourcir singulièrement la taille des idoles. Les fameux « Pères » n’ont pas tous été ce que l’on peut appeler les premiers venus ou des hommes médiocres. Mais à mesure que les documents les faisaient surgir devant mes yeux, combien ils me parurent pauvres d’idées, pauvres de culture générale, de bon sens et d’adresse ! Cartier, Langevin, surtout ce pauvre Langevin, se peut-il, en notre histoire politique de ce temps-là, personnage plus affligé de cette faiblesse impardonnable à un homme d’État : la naïveté ? Naïveté sur l’importance, la portée des textes constitutionnels tenus d’ordinaire pour si peu de chose par les Britanniques ; naïveté sur l’avenir du pacte politique, sur la