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de l’Empire aussi Canadien français qu’à mon départ, ma carapace de vieil enraciné m’ayant préservé de toute contamination. Au surplus, à cet automne de 1916, mon enseignement que j’ai appris à aimer m’enchaîne. Mon premier problème se ramène à l’organiser.

Avant toutes choses il me faut tenir compte d’impérieuses réalités. À qui s’adresse mon cours d’histoire ? En l’absence d’une Faculté des lettres régulièrement organisée — ce qui ne viendra qu’en 1920 — je n’ai pas d’étudiants ; j’ai un public. Impossible, par conséquent, de m’appliquer à un véritable cours universitaire, je veux dire un cours qui s’applique à l’étude d’un problème d’histoire cerné, fouillé, retourné patiemment, où l’élève, tout en s’instruisant, apprend une méthode de travail. Un cours de cette espèce n’eût pu que lasser et dégoûter un auditoire composé de quelques érudits et de quelques amateurs, mais surtout d’auditeurs qui, pour être cultivés dans l’ensemble, n’en ignorent pas moins déplorablement l’histoire de leur pays. Au reste, l’étude spécialisée d’un problème historique n’a chance d’intéresser et de profiter que si elle se greffe sur un fond assez large de connaissances. Sur ce point, mon expérience de petit collégien à Sainte-Thérèse m’avait instruit. On nous enseignait l’histoire du Canada en Rhétorique à l’aide d’un manuel d’enseignement primaire : enseignement qui m’a rebuté à un point que je ne puis dire. Mais en vue de corriger, sans doute, les déficiences du manuel, le professeur entreprit un jour de nous exposer, en quelques leçons, l’établissement du régime municipal au Canada. Doctes leçons, peut-être, mais de nul intérêt pour les petits ignorants que nous étions des moindres notions du régime démocratique ou parlementaire. Il nous eût fallu des préliminaires, des leçons préalables sur le milieu social où ces institutions s’implantèrent. Certes, à l’Université de Montréal, la composition de mon auditoire m’imposait de lui apporter du nouveau. J’aurais à m’élever au-dessus de l’enseignement collégial. Toutefois, pour répondre à l’attente du public, pouvais-je dépasser le niveau d’un quelconque enseignement supérieur de l’histoire du Canada ? Malgré qu’il en eût, le cours prenait forcément la forme d’une conférence. Nécessité circonstancielle qui explique le caractère et l’allure de mes premiers ouvrages d’histoire.