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roles. Bientôt les mouchoirs se portèrent aux yeux. Et quand l’homélie finie, le nouveau curé descendit de la chaire, je revois encore, dans la foule émue et remuante, les échanges de regards et de signes de tête qui voulaient dire : « Celui-là, c’est un prêtre ! »

Au reste, il portait le surnaturel à fleur de peau. Dans la plus simple conversation, il prodiguait de ces mots spontanés qui révélaient une âme exquise et devenaient des rappels aux plus hautes vues de la foi. Quand, il y a deux mois, il arriva à l’Hôtel-Dieu, épuisé, à demi mourant, il devint pour quelques jours incapable de la plus courte prière. « Je me suis trouvé si faible, dira-t-il après coup, que, pour la première fois de ma vie, je n’ai pu dire mon chapelet. » Et il ajoutera du ton le plus simple : « Ce me sera là un sujet d’orgueil de moins. » Huit jours avant de mourir, il a écrit dans un Nouveau Testament que des mains pieuses lui avaient prêté : « Aujourd’hui j’ai reçu l’Extrême-Onction. Ce fut le plus beau jour de ma vie. »

C’est peut-être la parole où il a mis son âme le plus parfaitement, celle dont ses amis voudront embaumer son souvenir.

Oui, voilà toute son âme et toute sa vie. Et c’est là toute son œuvre. Il n’a pas élevé de monuments ; il ne laissera pas une ligne à la plus courte postérité. Il a fait mieux que ces œuvres vaines où essaie de se survivre une pensée mortelle. Il a travaillé sur les âmes qui ne meurent pas. Il laisse des jeunes gens qui lui devront de s’être éveillés aux nobles idéals parce qu’il aura passé dans leur jeunesse, si grand, si pur, si prêtre ! Il laisse des amis qui se purifieront toujours du souvenir de sa grande amitié, puisque entre ceux qui restent et ceux qui s’en vont, se continuent des communions immortelles. À tous ceux qui l’ont connu, il laisse la bienfaisance durable d’un caractère et d’une âme de beauté, comme notre pauvre temps, hélas, n’en sait plus montrer que rarement.

Le jour de ses funérailles, quand il est sorti de l’église pour se rendre au cimetière, les anges du Bon Dieu se sont mis à jeter de la neige blanche sur son cercueil. Aux siècles de légende, ce sont des fleurs de lis qu’ils eussent fait pleuvoir sur cette dépouille, enveloppe d’une âme de surnaturel et de blancheur.

Lionel Groulx, ptre

Le Devoir, 10 janvier 1917.