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deuxième volume 1915-1920

lût se permettre. « Quand on aime vraiment le bon Dieu, aimait-il répéter, c’est si simple de laisser les autres faire le bien. »

Et dans ce caractère je ne vois rien de rigide ni de compassé. Au fond, on y trouvait la bonté, la bonté généreuse et accueillante, et aussi la bonté joyeuse et gaie. « Jamais aucune peine ne nous est venue de cet enfant », disait sa mère. Il avait des échappées de belle humeur, des saillies pittoresques qui révélaient une âme toute simple et de tournure savoureusement originale.

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Tout cela lui faisait une piété de la plus franche et de la plus noble qualité. Il l’avait nourrie aux meilleures sources : celles de la théologie et des grands mystiques. Mais le Livre sacré demeura toujours à ses yeux le livre qui passe avant tous les autres. Sa connaissance de l’Écriture était si sûre et allait si loin qu’elle avait la vertu d’une concordance. Il entretenait une prédilection pour saint Paul. Dans les derniers temps de sa maladie, il fit demander qu’on lui apportât le premier volume de la Théologie de saint Paul par le R. P. Prat, s.j. Comme on lui faisait observer que c’était d’une lecture bien difficile, bien ardue pour un malade : « N’importe, dit-il, mettez-le là près de moi, j’aime tant ce saint Paul que de voir son livre me fera du bien. »

Sa piété devait le faire orateur. Sans rien des dons qui font le prédicateur peigné et correct, il atteignait aux effets les plus puissants. Que de fois les congréganistes de la Sainte Vierge de son collège sont montés à l’étude, émerveillés des choses qu’il leur avait dites. J’assistai à son sermon de début dans la paroisse où, arrivé malade, il a achevé de briser sa vie. Il recueillait une succession difficile. Avant l’heure de la messe, on était venu au presbytère lui proférer des menaces. Il monta en chaire, lut sans commentaires la lettre de son évêque, puis fit la lecture de l’évangile du jour et commença une homélie sur « le péché, le grand et l’unique mal ». Dans l’auditoire un peu fiévreux, ce fut tout de suite le grand silence. Le prédicateur parlait avec force, avec une conviction faite d’énergie et d’émotion où se livrait l’âme ardente d’un apôtre. Il eut des gestes empoignants, des mots inspirés. Des allusions délicates et pourtant transparentes passaient à travers ses pa-