Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
deuxième volume 1915-1920

petite ville plutôt ouvrière et très petitement bourgeoise. J’arrive au presbytère en 1917, au plus vif de la première Grande Guerre. Une vague de fanatisme impérialiste soulève le Canada. Contre cette hystérie, Henri Bourassa et son équipe mènent une campagne ardente dans Le Devoir et sur les tribunes publiques. Le chef nationaliste est alors dans tout le rayonnement de son extraordinaire talent. Sa popularité est à son apogée. Ce sont peut-être aussi les années où il écrit ses articles et prononce ses discours les plus audacieux. On n’a qu’à relire ses conférences, Hier, aujourd’hui, demain, les mieux charpentées et les plus retentissantes peut-être qu’il ait prononcées. Dans la même série prend place son volume au titre passablement provocateur : Que devons-nous à l’Angleterre ?, recueil d’articles déjà parus dans le journal Le Devoir. La presse anglo-canadienne et les politiciens va-t’en-guerre ripostent, on le pense bien, avec fureur. Menaces de la prison et voire de la pendaison planent sur la tête de l’orateur et du journaliste. Dans la presse canadienne-française, les journaux loyalistes, et par exemple, L’Action sociale de Québec où écrit un abbé politicien, ferraillent avec autant de véhémence contre l’anti-impérialisme de Bourassa. Une lettre pastorale des évêques où se sont glissées quelques expressions qu’on a cru suspectes, avive dangereusement ces controverses. Dans la « Mâlaine », ai-je dit, en elle et autour d’elle, vivent quelques-uns des principaux chefs nationalistes. Au presbytère si accueillant, tous ont leur entrée libre. Paroissien du Curé, Henri Bourassa y fait de fréquentes apparitions. Par la force des choses, la maison du curé Perrier prend facilement figure d’un foyer antiparticipationniste à la guerre impériale. L’effervescence des esprits atteint son plus haut point lorsque les politiciens d’Ottawa, levant le masque, posent carrément le projet d’une mobilisation générale de la jeunesse canadienne et de son envoi sur les champs de bataille de l’Europe. Dénouement inévitable, prédit par Bourassa, qui prend barre ainsi sur les participationnistes de tout poil. Les passions se déchaînent de plus belle. Années dures, excitantes : presse, opinion anglo-canadienne, politiciens d’Ottawa, même les plus huppés, donnent à fond contre la récalcitrante province de Québec. On ne lui ménage ni injures, ni anathèmes. Au presbytère de la « Mâlaine », les jeunes gens affolés, exaspérés, viennent chercher conseil. En fallait-il davantage pour donner au Curé figure de séditieux ? La police secrète a charge de le surveil-