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loupe et le travail de la lime, j’avais cédé aux instances de M. Héroux et laissé imprimer, en fascicules, ce premier cours. Je commettrai la même faute pour les quatre suivants qui seront vendus au public, le soir même, à la sortie de l’Université, et largement répandus dans les collèges.

À huit heures et quelques minutes, ce 3 novembre, j’entre en ce que l’on appelle alors, à l’ancienne Université de la rue Saint-Denis, la « Salle des promotions » : assez vaste auditorium ceint de balcons. Il est comble, soit quelque 1,200 auditeurs. Fidèle à sa promesse, Mgr Bruchési préside au premier rang. Convenablement ému comme en toutes les circonstances de ma vie, je m’assieds, selon le rite académique, derrière la petite table, au centre de l’estrade. Et voilà un millier d’yeux braqués sur le pauvre professeur parfaitement inconnu du plus grand nombre. Il y a de la sympathie dans les regards ; il y a aussi une légitime inquiétude. Que nous apporte-t-il celui-là ? Inquiétude que ne sont pas loin de partager mes meilleurs amis. Ils savent l’importance, l’enjeu de la soirée. On écoute pourtant avec attention la première partie du cours sur l’évolution constitutionnelle de l’Angleterre. Pour la plupart elle est neuve. À dessein, je me suis efforcé de garder à mon exposé le ton didactique : ton du cours plus que de la conférence. Cependant, il me semble que l’on a hâte de me voir aborder l’histoire canadienne. Aussi bien, lorsque, arrivé à la deuxième partie, j’annonce : « Nous revenons maintenant au Canada… », un imperceptible soupir de soulagement que je devine plus que je ne sens s’élève de l’auditoire. Ces cinq pages du fascicule ne contiennent, elles aussi, qu’une rapide synthèse de l’état politique du Canada français en 1791 : exposé du règne de l’oligarchie anglo-canadienne, elle-même réplique, réduction ou prolongement de la haute société impériale. Mainmise puissante, par conséquent, sur les fragiles institutions parlementaires, elles-mêmes entre des mains inexpérimentées. Mais la finale ne laisse point de passer en revue les motifs d’espoir des Canadiens de l’époque : germe de liberté, invite à l’émancipation contenue dans les institutions britanniques, puis formation française, rigoureux esprit de logique des parlementaires canadiens, issus de générations rurales, puis encore et surtout, foi en la Providence qui « développe l’histoire du monde selon les lois