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mes mémoires

Amitié du Père Rodrigue Villeneuve, o.m.i.

De ce voyage, je rapportais surtout une grande amitié. Les deux compagnons revenaient d’Acadie, je crois pouvoir l’affirmer, encore plus profondément amis qu’ils ne l’étaient au départ. Pendant un mois, le voyage leur avait permis de vivre côte à côte, dans la plus grande intimité. Chaque jour, j’avais découvert, en mon jeune compagnon, un vrai religieux et qui s’appliquait à l’être magnifiquement. Il m’avait paru si passionné de vérité, si désireux de s’instruire de tout ce qui peut faire un esprit lumineux, une âme sacerdotale si ambitieuse de se donner pleinement au service de l’Église. Avec tout cela un esprit tout en droiture. Et bien que ferme et solide, un cœur d’or. Le 12 septembre qui suit notre séparation, le cher ami s’étonne déjà de mon silence et il m’écrit d’Ottawa :

Cher ami,

Votre lettre, sans être tardive, a vraiment été bien accueillie. Pour le dire simplement, je m’ennuyais de vous. Après avoir été inséparables pendant quatre semaines, à la vérité, j’ai trouvé la séparation cruelle.

Et le Père s’interrogeait sur l’impression qu’aurait pu me laisser sa conduite de religieux en voyage :

Lacordaire portait tout l’ordre en son grand habit blanc : eût-il été bon que la Congrégation des Oblats fût jugée en moi ? Je vous dispense de toute réponse.

Je retrouve aussi en cette lettre cet autre mot affectueux :

En tout cas, il demeure que de mon voyage le plus doux souvenir sera incontestablement les intimes causeries qu’il m’a procurées avec le compagnon que je m’étais choisi.

Entre nous deux un lien s’était noué que rien, semblait-il, ne saurait plus briser. Amitié précieuse et qui, par surcroît, m’a grandement servi. Aux jours les plus périlleux de ma vie, elle me fut un ferme soutien et un noble stimulant. Amitié solide qui devait durer, même après que mon ami — ce qui est chose rare — fut élevé à l’épiscopat. Amitié que la deuxième Grande Guerre devait assombrir sans pourtant la briser, même si en mon cœur elle devint une amitié souffrante.