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premier volume 1878-1915

offre l’histoire de l’Acadie ressuscitée et sur la nécessité, pour tous les groupes français, de s’épauler les uns les autres et de faire confiance à la vieille province de Québec. Je cite quelques lignes de ma péroraison :

Mesdames, messieurs, en ouvrant l’autre jour la traduction française de l’Évangéline de Longfellow par Pamphile LeMay, je regardais avec émotion la gravure qui représente votre héroïne. Elle est là, dans le costume du vieux pays, assise à quelques pas d’une croix du cimetière, regardant, avec un air de profonde mélancolie, à travers la lande qui se prolonge vers la mer infinie. Elle embrasse, dans son regard immense, c’est visible, toute la vieille terre des ancêtres, la terre bien-aimée qu’ont tant pleurée les vieux qui n’y sont pas revenus.

Acadiens d’aujourd’hui, comme votre Évangéline, continuez d’embrasser dans un immense regard d’amour votre pays, votre chère et vieille Acadie. Mais quand vos yeux auront atteint les frontières occidentales de votre patrie, portez avec confiance vos regards encore plus loin, du côté de la vieille province de Québec. Vous y verrez que là-bas, vous comptez des frères et des amis : des frères qui ont pu paraître vous oublier aux mauvais jours, mais qui, maintenant, plus conscients des réalités de leur histoire, vous reviennent et vous comprennent. Gardez dans vos cœurs et dans vos foyers les traditions qui sont votre bien le plus cher après votre foi. Donnez-nous cependant, nous vous le demandons, donnez-nous la main par-dessus vos frontières, pour que, groupés et plus forts, nous gardions allumée, sur les hauteurs du nouveau monde, la flamme de notre idéal catholique et français.

De Moncton, nous continuons vers le sud, suivant toujours la côte. Je note notre arrêt à Cocagne : soirée passée chez un M. Lévesque, prêtre âgé, depuis longtemps au service des Acadiens. Nous le faisons parler de ses ouailles. Il s’amuse assez lourdement de leur langage et de leurs petites manies. Puis, autre arrêt à Shédiac, chez un abbé Hébert que je sais ami et confrère de Grand Séminaire de l’abbé Philippe Perrier. Arrêt prémédité et où j’espère trouver la solution du problème douloureux qui nous obsède depuis quelques jours. Comme la plupart des Canadiens français, nous sommes entrés en Acadie avec une émotion presque pieuse, avec l’âme de pèlerins. Nous allions fouler une terre de martyrs. Depuis ce temps où, dans nos Académies de collège,