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mes mémoires

eu qu’un vieux traîneau de fabrication domestique, destiné à rentrer à la maison le bois de chauffage. Pourtant que de joyeuses glissades il nous a permises, dans le vent fouettant d’hiver, sur la pente enneigée du rivage, en face de la maison paternelle ! Au reste, pour l’ensemble de nos jeux, notre ingéniosité y pourvoyait. Et ces jeux, comme on le pense bien, s’inspiraient naïvement du milieu paysan, des objets ou des spectacles dont se nourrissaient nos yeux d’enfants. Nos parents nous emmenaient parfois aux expositions régionales de la paroisse et du comté. Avec de grands yeux nous regardions défiler les animaux de choix, les gagnants des premiers prix. Nous prenions là, sans doute, la fantaisie de découper, à l’heure longue, dans les journaux ou illustrés qui nous tombaient sous la main, des vignettes d’animaux de ferme. La table de la cuisine, le siège du rabat se couvraient du somptueux étalage. Nous tenions notre exposition. Et il fallait voir, avec quel ambitieux orgueil chacun prônait sa collection, se disputait les premiers prix ! Un autre jour, avec de simples morceaux de bois qui figuraient chevaux et machines, nous imaginions des scènes de battage, imitant, par de puissants ronronnements, la voix grondante de la batteuse ! Nos instincts d’architectes ou de charpentiers s’exerçaient à la construction de cabanes. Qui dira, par quel penchant mystérieux, les enfants aiment s’adonner à cette sorte d’amusement ? Ces cabanes, nous choisissions de les construire presque toujours hors de la vue de la maison, derrière un bâtiment, une clôture, une corde de bois. Y rentrer, par la porte basse, nous y enfermer pour quelques heures, dans un accroupissement pas toujours confortable, nous procurait le plus délicieux des alibis. À de petits paysans qui quittaient rarement l’ombre du foyer, c’est tout le charme de l’évasion qui s’offrait à eux. Souvent nous allions demander une beurrée à notre maman, pour le plaisir de la manger dans la cabane ! Et ces beurrées, rarement sucrées, mais dévorées sous le petit toit branlant, prenaient, à n’en pas douter, le goût d’un mets rare, d’une saveur indicible.

Pour rompre la monotonie des jours, il y avait aussi les menus événements de la ferme. Quand on n’a pas été un petit paysan de l’époque 1880-1890, on n’imagine guère ce que pouvait être, pour un enfant, prisonnier joyeux de son petit horizon, la naissance d’un jeune animal : petit veau, petits poulets, petit goret, petit