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mes mémoires

gnage d’une vie quotidienne toujours en ligne droite. Deux incidents de ce congrès sont restés gravés dans mes souvenirs. C’est pendant ces assises d’Orléans que Pierre Gerlier, le futur cardinal de Lyon, alors jeune avocat, est porté à la présidence de l’ACJF. Je le rencontre le soir du banquet final. Il s’aperçoit qu’on ne m’a pas décoré de l’insigne de l’Association. D’un geste cordial, le jeune président saisit sa propre croix de Malte à sa boutonnière et l’épingle à la mienne. Je garderai précieusement l’insigne. Lors d’un voyage au Canada du Cardinal de Lyon, je pourrai lui montrer la croix qu’il portait le soir de son élection à la présidence de l’ACJF, et le remercier une fois de plus de ce geste d’amitié.

L’autre incident se produit le même jour, dans l’après-midi. Au Cirque d’Orléans, cinq mille jeunes gens ont pris place. M. C.-J. Magnan, que nous avons désigné pour notre porte-parole, est invité à prononcer une allocution. Orateur nerveux, de parole facile, tempérament enthousiaste, notre compatriote atteint aisément à l’éloquence. Emporté peut-être par son succès, notre ami Magnan se hasarde à décrire, quoique en termes fort discrets et modérés, la pénible impression que nous cause parfois au Canada, la politique religieuse de la France. En 1909, nous ne sommes pas si loin du combisme et de l’expulsion des congrégations religieuses. Mal en prend à l’imprudent orateur. L’évêque d’Orléans, le tempétueux et fort éloquent Mgr Touchet, préside. Il succède à la tribune à M. Magnan. Tout de suite l’orage éclate. La réplique est cinglante, sans ménagement : « Vous irez dire, Monsieur, à ceux qui chez vous pensent et parlent ainsi de la France qu’ils ne connaissent pas la France. » Un instant d’arrêt, puis éclate cette phrase où se condense le patriotisme exalté du bouillant évêque de Jeanne d’Arc : « Mais que ferait Dieu sans la France ? » C’était péremptoire. Applaudissements frénétiques de l’auditoire ! Tout de même, nous disions-nous ce soir-là, ce pauvre bon Dieu, s’il a entendu ce discours, s’est peut-être dit le vers du poète symboliste :

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !