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premier volume 1878-1915

littéraire à la Lanson, c’est-à-dire à l’allemande : histoire de fiches plus que d’esprit, dira-t-il. Avec une étude sur Alfred de Vigny, Masson a déjà décroché, en 1906, un prix académique haut coté : le prix d’éloquence si improprement dénommé. À cet ouvrage il ajoutera, en 1907, deux autres volumes fort goûtés : Fénelon et Madame de Guyon, Madame de Tencin (1682-1749) — Une vie de femme au XVIIIe siècle. Il prépare alors, pour un libraire de France, une édition annotée de La chute d’un ange de Lamartine. Par une autre étude sur Lamartine, il obtiendra, une seconde fois, en 1911, le prix d’éloquence de l’Académie. Le jeune professeur paraît promis à une magnifique carrière dans le monde des lettres. Un jour ou l’autre, nous disions-nous, nous entendrons parler de celui-là ; il deviendra chef de file, critique éminent, professeur en Sorbonne, qui sait ? Hélas, nous comptions sans la première Grande Guerre, qui briserait cette carrière brutalement. C’était la veille d’un jour où il allait partir en congé à Paris pour y subir sa soutenance de doctorat, avec une thèse en trois volumes sur La religion de Jean-Jacques Rousseau. Au moment de son départ, l’officier tint à faire l’inspection de son régiment ; un seul instant sa tête parut au-dessus du parapet des tranchées ; une balle allemande l’atteignit en plein front. Dans le temps j’ai acheté la thèse sur Rousseau ; je tenais à la lire, à y retrouver les joies de l’esprit que ce jeune maître m’avait fait goûter à Fribourg. J’ai acheté aussi ses Lettres de guerre, août 1914 — avril 1916. À ses anciens étudiants, quelle émouvante révélation elles apportèrent. À Fribourg nous savions que Pierre-Maurice Masson s’occupait d’une conférence de Saint-Vincent-de-Paul chez les étudiants. Pour le reste nous ignorions tout de la vie religieuse de ce jeune intellectuel qui ne paraissait vivre que de l’esprit. En ce temps-là, sursaturés de littérature de guerre, nous avions fini par nous en dégoûter. La correspondance de Pierre-Maurice Masson fit plus qu’emporter notre dégoût. Ses Lettres de guerre nous révélèrent un catholique de vie intérieure profonde, une âme religieuse de la plus noble qualité. Petit volume de quelque 260 pages, mais qui tranchait si vivement sur tant de fadeurs religieuses ou littéraires. À mon professeur de littérature à Fribourg, je me dois de le dire ici : j’ai fait une place à part dans mes souvenirs. Je le range parmi l’un de ces deux ou trois hommes rares qui, au temps de notre jeunesse, dépas-