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I

NAISSANCE ET FAMILLE

Je suis né à Vaudreuil, le 13 janvier 1878, dans le rang des Chenaux. On connaît le paysage : l’embouchure de l’Outaouais, la baie circulaire creusée dans la terre grasse par la gigantesque charrue de la rivière, avant de faire sa trouée vers le Saint-Laurent ; un pays de delta, mais d’un delta depuis longtemps asséché, pays de grands ormes et d’érables et de toutes les essences de bois francs, cerné vers le nord par la ligne discrète et bleue des Deux-Montagnes. Vu de la maison paternelle, un paysage calme, harmonieux, presque trop uni, fait d’eau presque autant que de terre, où le sol est bon, nourricier, généreux, où l’eau, le flot d’une baie en cuvette n’est jamais violent. Bref, si tant est que la terre y soit pour quelque chose, un pays pour faire des hommes d’esprit posé, de nerfs solides, avec des antennes portant vers l’évasion, l’aventure, antennes qu’agite la ligne marchante de la Grande Rivière qu’on sait descendue des Hauts mystérieux.

Je suis né petit, grêle, très grêle, m’a souvent répété ma mère. À six ans, en ma première année d’école, on me fit réciter, en public, un « compliment », un quatrain qui débutait par ces deux lignes qui auraient pu être des vers :

Je suis si petit, si petit
À l’école où l’on me conduit…

Les deux autres vers se sont envolés de ma mémoire.

Ce petit est pourtant robuste, résistant. Presque au lendemain de ma naissance, la terrible vérole entre dans la maison. J’en