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premier volume 1878-1915

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Et quel esprit de foi dans ses moindres paroles ! Au déjeuner, après la lecture du courrier du matin, j’étais toujours étonné et édifié de l’entendre commenter les événements du jour. Il ne connaissait qu’un point de vue pour juger les hommes et les choses : le point de vue catholique. Dans tous les mouvements des peuples, une seule chose l’inquiétait : les intérêts de la foi, la cause de l’Église.

C’était l’épanchement spontané d’une âme pieuse jusqu’au mysticisme. Le matin, on le trouvait à la chapelle dès avant six heures. Il y faisait une heure de méditation, entendait la messe, la servait volontiers et y communiait tous les jours. Dans l’après-midi, vers trois heures, il interrompait son travail pour aller réciter, devant le Saint-Sacrement, l’office du Tiers ordre. Le soir, on le retrouvait encore à la chapelle de six à sept. À 7 heures moins un quart il sonnait lui-même la petite cloche pour appeler la famille et le personnel des domestiques à la prière du soir.

Le spectacle était bien touchant de cette prière du soir en commun. Et d’abord, comment dire le pittoresque mystique de cette petite chapelle aérienne, au sommet d’une vieille tour recrépie, au milieu des arbres du bocage ? Le matin, faisait-il grand vent à l’heure de la messe ? À l’élévation, les hautes cimes enfeuillées venaient s’incliner jusque dans les vitraux, comme pour un geste adorateur, pendant que les chênes, les ormes et les conifères versaient l’harmonie de leurs orgues solennelles. Le soir, à 7 heures moins un quart, quand tout le monde appelé par la cloche avait gravi l’escalier extérieur tournant, le chapelain récitait le chapelet et la prière du soir. Et quand il avait fini s’élevait alors une voix brève, mais malgré tout doucement pieuse et qui disait : « Pour la délivrance de Notre Saint-Père le Pape, Notre Père qui êtes aux cieux… ; pour nos évêques et nos prêtres, pour les congrégations religieuses, Notre Père… ; pour les marins, pour nos enfants, Notre Père… pour la rédemption de la France, Notre Père qui êtes aux cieux… » Et cette prière si simple, mais qui emportait vers le ciel tous les soucis de l’Église et toutes les angoisses de la patrie ; cette prière du vieil amiral de Crec’h Bleiz, priant avec toute sa famille, les domestiques mêlés sans protocole