Écrire ses Mémoires ! J’y ai toujours vu la besogne d’un paresseux ou d’un impuissant. Pourtant j’écris les miens. La Providence a voulu qu’en mes soixante-seize ans, j’aie connu une période de fatigue. Le médecin m’a condamné au repos forcé. Pour me divertir, j’écris Mes Mémoires. On m’en a prié, depuis longtemps, de-ci, de-là. « Vous avez vu ou connu de près, m’a-t-on dit, la plupart des personnages qui ont tenu un rôle public à votre époque ; vos souvenirs constitueraient un document historique de grand prix. » Et j’écris, comme j’ai écrit autrefois Les Rapaillages et les deux romans d’Alonié de Lestres, par pur divertissement.
Même si je ne les ai écrits que par passe-temps, je ne me sens pas délivré de tout scrupule. N’aurais-je pas dû employer ce délassement à quelque emploi, quelque travail plus conformes aux exigences de la vie sacerdotale ? Il y a des passe-temps qui peuvent s’accorder avec l’action apostolique. Ce motif ou cet aperçu précisément est celui-là qui m’a fait persévérer dans l’accumulation de ces pages.
Quand la Providence m’a tiré de Valleyfield pour m’asseoir dans une chaire, à l’Université de Montréal, et m’y confier l’enseignement de l’histoire de mon pays, on m’a tant dit, et d’excellentes âmes me l’ont dit et répété : j’étais devenu un chargé de mission. Et cela voulait dire, dans leur esprit, une mission envers mes compatriotes canadiens-français. À un petit peuple en train de perdre