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L’APPEL DE LA RACE

avocat au barreau d’Ottawa, se trouvait, ce soir-là, à la maison. Il prit place à table, aux côtés de sa belle-sœur, en face de Lantagnac. Duffin qui aimait à causer et qui causait beaucoup, et que Lantagnac taquinait parfois sans pitié, préférait, comme il disait, voir venir les coups par la ligne droite, plutôt que par la ligne oblique.

William Duffin atteignait alors la cinquantaine. Fils d’un émigré irlandais venu au Canada à l’époque du typhus, Duffin était né à Saint-Michel de Bellechasse où son père, forgeron de son métier, avait résidé longtemps. Le curé s’était vivement intéressé au jeune William qui faisait voir une vive intelligence. Il l’avait envoyé au collège de Sainte-Anne-Lapocatière. Devenu avocat, le jeune Irlandais se créa rapidement à Montréal, une large clientèle. Très mêlé, dès lors, à la société anglaise, il y courtisa une sœur de Maud non convertie. Son mariage le fit émigrer vers Ottawa. Dans sa nouvelle famille et son nouveau milieu, Duffin, de caractère fort plastique et très arriviste, fit bientôt bon marché du reste de ses sympathies françaises. Ses enfants, qui étaient baptisés, fréquentaient néanmoins l’école publique ; lui-même, ne gardait plus qu’une ombre de sa foi. Le malheureux Irlandais souffrait au plus haut point de l’état d’âme du vaincu qui l’avait jeté, dès les premiers contacts, dans le servage de l’Anglo-saxon, le dominateur séculaire de sa race. Autant Lantagnac avait éprouvé autrefois de la sympathie