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VERS LA CONQUÊTE

travaux. Seules, du tuyau de son toit gris et pointu, quelques rares bouffées de fumée inconsistante s’échappaient, comme une prière trop lasse qui s’endort. Là-haut, cependant, la lune montait dans un ciel uniformément clair. Sous ses lueurs blanches, les montagnes faisaient voir des crêtes illuminées, de grandes étendues de forêt dans une verdure argentée. Mais cet éclat s’atténuait, par dégradations rapides, et se perdait bientôt dans le ton fauve des pentes et des gorges obscures. C’était grand et saisissant. En apparence immobile, l’astre blanc mettait un silence religieux dans le paysage nocturne, quelque chose du recueillement de la nature qui se fût sentie en présence de Dieu.

Dans la chaloupe qui s’en retournait à la villa, on ne parlait plus depuis quelques instants. Lantagnac s’abandonnait plus que les autres à la solennité de la scène. Quelle Providence attentive avait ainsi ménagé les événements et les choses pour qu’en cette première rencontre de ses enfants et de la patrie québecquoise, celle-ci leur fût révélée avec la plénitude de son charme et de ses grandeurs ? Lantagnac se sentait le cœur en fête. Les courants d’air chaud qui caressaient parfois son front et qui lui arrivaient du sein de la vaste nature, sous la lumière divine, lui paraissaient un vent de bonheur, l’haleine d’un nouvel avenir où sa vie allait recommencer sur un plan agrandi. Sans doute, il eut chanté à haute voix l’exaltation de son âme si, à ce moment, un chant intérieur ne