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LE COIN TOMBE

Le lendemain, Madame de Lantagnac fit son apparition au déjeûner, un peu fatiguée, surtout très distante, mais comme toujours d’une correction impeccable. Vainement Lantagnac essaya d’amener la conversation sur le sujet délicat. Toutes les allusions que son mari voulut faire aux événements de la veille, Maud sut les détourner habilement. Lantagnac comprit qu’il valait mieux ne pas aborder le sujet, pour le moment. Pendant les jours qui suivirent, Madame se confina inviolablement en sa même attitude. Elle s’y tint avec une constance, une opiniâtreté qui n’avaient d’égales que sa souple finesse. Tant et si bien que, dans la maison, l’on put croire l’incident oublié tout de bon et préservé d’autres suites. Lantagnac vécut alors quelques journées de force sereine et de bonheur à peu près tranquille. Il lui semblait qu’il pouvait commencer de croire à la fécondité du sacrifice, fécondité que lui avait si noblement exaltée le Père Fabien. Dès le lendemain du débat du 11 mai, l’opinion anglaise discutait déjà la question ontarienne avec plus de calme, sinon avec plus de loyauté. Dans le Québec, l’unité des partis se faisait pour venir à la rescousse de la’minorité opprimée. Puis, Lantagnac se souvenait de cette poignée de main de Dan Gallagher, chef irlandais d’Ottawa, qui lui avait dit, au sortir de la Chambre, l’autre jour :

— « Merci, Lantagnac, d’avoir su distinguer les amis parmi nous ».

Et comme l’orateur avait observé : « Mais ce n’était que justice », l’autre avait continué :