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DANS LA GRANDE ARÈNE

— Mon cher de Lantagnac, lui dit-il, flatteur, vous êtes une puissance. Dieu veuille que je ne vous aie jamais contre moi.

Lantagnac cependant demeurait grave et se sentait presque triste au milieu de ce triomphe. Tout d’abord, en reprenant son siège, une sorte d’exaltation l’avait enivré. La vibration solennelle et profonde de l’être qui s’est tendu dans la puissance entière de ses facultés, jusqu’à l’effort héroïque, lui avait mis du feu et des battements aux tempes. Mais cet enivrement n’avait pas tardé à baisser. Quand, seul, il prit la rue Elgin pour rentrer à sa demeure, il ne savait quelle atmosphère de tristesse l’environnait et marchait avec lui. Il aperçut tout à coup, à sa boutonnière, le bouton de rose qu’il avait cueilli, aux pelouses du Musée Victoria. Il le prit et le laissa tomber au bord de la rue. En passant devant la vitrine d’un marchand d’objets d’art, ses yeux tombèrent sur une Victoire de Samothrace. Cette image se fixa dans son esprit. Il lui semblait qu’une victoire voltigeait au devant de lui, mais une victoire blessée, mutilée, avec un battement d’ailes funèbres. Alors il songea, avec une angoisse plus grande que jamais, à la réception qui l’attendait à la rue Wilbrod. Il revoyait toujours, dans la tribune, en face de son siège à la Chambre, la figure de cette femme dont la pâleur effrayante l’avait, à un moment de son discours, si profondément troublé. Cette femme, c’était la sienne, c’était Maud.