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L’APPEL DE LA RACE

— Ne vous l’avais-je pas dit, Lantagnac ? interrompit le religieux. Nulle urbanité ne vaut la délicatesse paysanne, vraie fille de la charité chrétienne. Mais alors, cher grand seigneur, ajouta-t-il demi-taquin, qu’est devenue votre pitié pour le pauvre « habitant » ?

— Ma pitié ! dit l’avocat, franchement contrit, si nous parlions d’autre chose. Croiriez-vous que j’ai eu grand peine à reconnaître la ferme ? que chez les Lamontagne on a des fils qui sont passés par l’Institut Agricole d’Oka, que l’on ne compte plus, dans la paroisse, les familles qui ont de jeunes agriculteurs diplômés ?… Ah ! je crois bien que je laisserai à d’autres désormais le cliché du Québec arriéré et routinier.

— Et vous avez revu vos paysages d’enfance ? interrogea le Père qui toujours avait hâte d’aboutir.

Les yeux de Lantagnac se voilèrent d’émotion pieuse :

— Oui, j’ai revu Saint-Michel, les Chenaux, la terre des de Lantagnac depuis cinq générations. Et j’en rapporte, je le confesse tout de suite, une sorte d’enivrement. Que me servirait de m’en défendre ? Mon « climat moral », comme on dit aujourd’hui, est bien de ce côté-là. Vous allez me trouver fort romantique, mon cher Père ; mais enfin, il y a maintenant là-bas, au bord de la baie de Saint-Michel, une maison blanche au pignon ombragé de lilas, dont l’image, je le sens, ne pourra plus me revenir sans une nostalgie. Vous connaissez le paysage, mon Père ?