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I


Vocation extraordinaire


Nous sommes à la mi-mai 1642. Voyez-vous, là-bas, sur le fleuve ? Une flottille composée de deux chaloupes, d’une pinasse et d’une gabare, se hâte vers ce qui sera Ville-Marie, faisant peut-être de ses rames, comme eût dit Dante, « des ailes au vol fou ». L’île commence d’apparaître. Le long des rives défilent lentement des prairies naturelles qui portent déjà les fleurs sauvages du printemps canadien. En maints endroits, dans la crue des eaux, la forêt vient baigner sa futaie vierge. Au loin, de plus en plus net, se dessine le cône arrondi du mont Royal. Tout à coup, la petite troupe des voyageurs sent passer sur elle un souffle de lyrisme sacré. Enfin, c’est le jour si impatiemment attendu. Des joies, des espoirs trop longtemps refoulés explosent en chants d’hymnes, en chants de psaumes. Une petite femme, aux yeux dévorés par une flamme ardente, met, dans sa voix, j’imagine, plus de chaleur, plus d’émotion que les autres. Cette femme, vous l’avez reconnue. Mais comment se trouvait-elle dans cette barque ? Qui l’avait amenée là ?

Qu’est-ce alors que la Nouvelle-France ? Quelques Français, une poignée, encore mal agrippés à deux points du Saint-Laurent : deux rassemblements de baraques ou de maisonnettes en torchis qu’on appelle Québec, Trois-Rivières. Et à cette poignée de Français ne demandez pas ce qu’elle est venue faire dans le Nouveau Monde. À peine le sait-elle. Toujours hésitante entre le type de la colonie-comptoir et de la colonie-peuplement, l’entreprise piétine, végète. Pendant que ces pionniers ont, dans le dos, une guerre atroce, la guerre iroquoise, de l’autre côté de la mer,