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de leur donner des dimensions proprement surnaturelles. L’âme de Jeanne Mance eut cette mesure. Si elle vient au Canada et prend tous les risques de l’aventure, c’est, après sa rencontre de M. de La Dauversière à La Rochelle, pour une fin précise, nous dit la Sœur Morin : servir « les pauvres malades Sauvages et Français de la colonie ». Sœur Cuillerier, entrée à l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1694, et annaliste de son hôpital, a rendu à la fondatrice cet éloquent témoignage : le souvenir de Jeanne Mance, a-t-elle écrit, « doit être considéré par les religieuses comme un continuel avertissement des dispositions de zèle, de ferveur, d’humilité et de charité dans lesquelles nous devons servir les pauvres, sur le modèle de ce cœur qui pratiqua toute sa vie ces vertus dans un sublime degré… ».

Un autre et dernier trait majeur de la personnalité que nous étudions, ce pourrait être son ascendant moral, son don de gouvernement, le côté dominateur de son caractère et de son action. Il y a, comme l’on sait, une ténacité qui dépasse celle de l’homme ; et c’est la ténacité de la femme quand elle s’en mêle. Sous sa frêle enveloppe Jeanne Mance cache une trempe étonnamment virile, et un don exceptionnel de débrouillardise. Femme-chef, visiblement elle en impose. J’en appelle au témoignage de ses contemporains. Le premier, La Dauversière, pourtant difficile en ses choix, s’avoue conquis, dès la première rencontre, par la virilité chrétienne de sa visiteuse. Son impression, telle que recueillie par Sœur Morin, se traduit, en effet, par une image de force. La Dauversière, « considéra » la demoiselle, nous dit la chroniqueuse, « comme une amazone chrétienne ». Le fier Maisonneuve subissait aussi fortement le même prestige. Il regardait les décisions de Jeanne Mance comme des inspirations d’en haut. Lorsqu’en 1651, pour sauver la colonie en danger de périr, Jeanne Mance enjoindra à Maisonneuve de passer les mers, le gouverneur de Ville-Marie n’hésitera