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semblerait que, pour l’Église, une certaine constance, une certaine force dans la torture, ne puisse être le lot naturel de la femme. L’Église loue Dieu d’avoir déployé les prodiges de sa puissance, en faisant éclater la victoire du martyre « même dans le sexe faible, etiam in sexu fragili ». Jeanne Mance est de ces femmes fortes qui font mentir leur sexe. Tranchons les mots : cette petite femme est une grande femme. Il existe, je le sais, une école d’histoire qui se tient en méfiance contre la grandeur, l’héroïsme ; contre tout ce qui dépasse la moyenne humanité. On y pratique ce que j’appellerais le naturalisme historique. Et si l’on veut bien admettre un certain niveau de grandeur, pas très haut, l’on défend aux hommes que nous sommes de le dépasser. Pour ma part, je tiens qu’en face d’un personnage, si haut soit-il, l’attitude de l’historien n’est pas et ne doit pas être nécessairement une attitude de méfiance, mais tout simplement une attitude de liberté, l’attitude de l’esprit critique. Nous devons demander ses titres à l’héroïsme, mais en ayant garde d’oublier surtout, historiens catholiques, qu’il existe, pour l’âme humaine, des moyens d’agrandissement et d’exaltation de difficile mesure, puisque surnaturels, et que tout peut devenir grand dans la vie de ceux qui, à l’aide de la grâce du Christ, s’abandonnent au culte de la grandeur.

Ce qui frappe, au premier abord, en Jeanne, c’est la part d’absolu qui est en elle, dans son esprit, dans sa volonté. Toute jeune, elle prend des décisions absolues. Elle a six ou sept ans lorsqu’elle s’engage par vœu à la chasteté perpétuelle. Elle sera celle qui ne se donnera jamais à moitié. Elle aimera mettre en ses décisions une foi totale en la Providence ; on serait presque tenté de dire : une foi téméraire. Observez-la, à cette heure grave où elle va se donner à l’œuvre de Montréal. On sait de quoi il s’agit. S’en aller, d’un bond, une poignée d’hommes, à cent milles