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évasion dans l’action, l’aventure, l’exhaussement de la personnalité. N’oublions pas que l’œuvre cornélienne annonce, dans la littérature, selon un critique, le « triomphe du romanesque », besoin éternel de l’homme de se modeler sur des personnages surhumains. Et que l’on ne dise pas que le succès de Corneille, succès de Paris, n’atteignit pas la province. On nous l’a appris :

Tout Paris pour Chimène eut les yeux de Rodrigue.

Au vrai, toute la France pour Chimène eut les yeux du Cid. Lors de la Querelle, M. de Balzac l’écrira à Scudéry : « toute la France entre en cause » avec Corneille. Le chef-d’œuvre fut, du reste, traduit presque aussitôt dans toutes les langues de l’Europe, « hormis la turque et l’esclavone ». Et, nous le savons encore, tous les enfants de France se mirent à apprendre par cœur les vers du jeune auteur. Il faut savoir, en effet, que le Corneille du Cid ne fut pas seulement l’un des coryphées de la jeune littérature, le prince des premiers chefs-d’œuvre ; ce fut le poète de la jeunesse. Elle se prit à aimer le sonore dramaturge parce qu’il mettait à la mode l’Espagne des romanceros et la Rome héroïque, c’est-à-dire le culte du devoir, la passion de l’honneur, le sacrifice chevaleresque.

L’esprit cornélien eut le bonheur de se conjuguer avec un autre esprit qui le tira à soi sur un plan supérieur : un esprit religieux, puissant, qui s’appelle : l’âge mystique, l’élan mystique. Autre réalité qu’on ne peut ignorer quand on a lu l’Histoire de l’Église ou le grand ouvrage d’Henri Bremond : l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France. Et qu’est-ce que cet élan mystique ? L’élan d’une élite pour l’exhaussement, non pas du moi, mais, ce qui est bien autre chose, l’exhaussement humain ! Le départ d’une chevalerie spirituelle pour la conquête d’un graal qui, à la suite d’ascensions généreuses, presque toujours héroïques, ne sera autre que la conquête du parfait Amour, l’amour de