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une charge de cinq poches de farine. De Gaspé veut passer devant ; mais l’habitant lance son cheval à pleine vitesse. Sous la secousse du coup de fouet la planche d’arrière de la charrette se brise, une poche de farine tombe à terre et s’éventre. L’habitant ne s’arrête pas pour si peu ; il fouette son cheval à tours de bras, pendant que Plamondon lui crie : « Eh ! l’ami, est-ce pour soulager votre guevalle que vous déchargez votre voiture ? » Une seconde poche prend bientôt le chemin de la première. Et la course continue, haletante, coupée de cris, dans le moulinet des coups de fouet. Le malheureux ! il ne s’arrêta qu’à la quatrième poche.[1]

La vie canadienne de ce temps-là si unie, si enclose peut paraître monotone, ennuyeuse. Pourtant comme nos ancêtres étaient gais, d’une gaieté franche, ouverte, ayant facilement le rire sonore, le pétillement de l’esprit et surtout la chanson aux lèvres. Dans les champs, pendant que les bœufs ou les chevaux s’en vont dans le sillon, tirant lentement la charrue, il est rare que le laboureur n’entonne pas quelque mélopée grave, à physionomie de complainte, qu’il

  1. Mémoires de de Gaspé, pp. 334-335.