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PROLÉGOMENES SUR LES TROIS LIVRES
ainsi d’une manière générale, l’affirmation que la nature n’entraîne tout animal que vers sa propre utilité, ne doit donc pas être concédée.
VII. — Parmi les autres animaux, en effet, quelques- uns modèrent dans une certaine mesure leurs instincts égoïstes, soit en faveur de leur progéniture, soit au pro- fit des êtres de leur espèce (*). Cette disposition provient

=== ment les uns pour les autres une certaine affection, que l’on remarque aussi entre les bêtes. » Voyez encore ce que dit le même Père dans le chap. Ier aux Éphésiens, où il nous enseigne que la nature nous a donné des semences de vertu. L’Empereur Marc-Antonin, qui était un grand philosophe, disait : « Il est connu depuis, longtemps que nous sommes nés pour la société. N’est-il pas évident que les choses les moins parfaites sont pour les plus parfaites, et que les plus parfaites sont les unes pour les autres. » Grotius.
(*) Un vieux proverbe dit que : chien ne mange pas chair de chien. — Suivant Juvénal : « Le tigre furieux vit en paix avec le tigre, et la bête féroce épargne celle de sou espèce. » Il y a de Philon, sur le cin- quième précepte du décalogue, un beau passage que celui qui le vou- dra peut lire en grec. Pour moi, comme il est trop long, je ne le citerai ici qu’une seule fois, c’est-à-dire en latin. « Hommes, soyez du moins les imitateurs des animaux muets. Ils savent répondre aux bienfaits qu’ils ont reçus. Les chiens gardent le logis, et meurent mémo pour leurs maîtres exposés à quelque danger pressant. On dit que les chiens de berger marchent devant les troupeaux, et qu’ils combattent jusqu’à la mort pour empêcher que leurs maîtres ne perdent rien. Parmi les choses honteuses ne serait-ce pas la plus honteuse de toutes, qu’en matière de reconnaissance l’homme fût vaincu par le chien, l’animal le plus doux par le plus brutal ? Que si les animaux qui vivent sur la terre ne suffisent pas pour nous faire la leçon, passons à l’espèce des volatiles, qui voyage à travers les airs, et apprenons d’elle notre devoir. Les cigognes, que la vieillesse empêche de voler, restent dans leur nid ; et les jeunes qui ont reçu d’elles le jour, volent, pour ainsi dire, par toutes les mers et les terres, leur cherchant de toute part de la nourriture ; celles-là, en consi- dération de leur âge, jouissent du repos, de l’abondance, de douceurs même ; celles-ci se consolent des ennuis du voyage, par la satisfaction de s’être acquittées d’un devoir de piété, et par l’attente d’un traitement semblable de la part de leur progéniture, lorsqu’elles seront devenues vieilles à leur tour. C’est ainsi qu’elles rendent, chacune en son temps, ce qu’elles ont reçu. Il n’y a point d’autre animal qui puisse nourrir ni

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