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de la rive. Elles tendaient de l’un aux autres de grandes tentacules balançantes, fouettées par la pluie. Et l’orage ayant cessé, dans la fraîcheur de toute cette végétation mouillée qui portait une perle à chacune de ses feuilles, le grand silence succédant au bruit de l’eau, c’est alors qu’il m’est venu une de ces joies de vivre indescriptibles.

Maître de la quinzaine d’hommes que j’ai avec moi, ma maison à ma suite, ordonnateur de l’heure, je pensais qu’en ces instants ma vie était à moi, toute à moi et que je n’avais à l’assujettir à rien, ni à personne. Je couche le soir en l’endroit le plus beau de la route, où je juge que le fleuve à mon réveil, aura sa plus belle aurore. Et s’il me plaît en l’un de ces lieux d’y élever ma maison, d’y vivre et d’y mourir, je n’ai qu’à le vouloir.

En de tels endroits, l’argent ne compte plus, la vanité n’a pas de raison d’être. La catastrophe de l’arbre interdit l’orgueil. L’horizon tutélaire, la vie et la mort jointes éternellement ; leurs symboles : la fleur et la pourriture ne peuvent suggérer une pensée mesquine, basse, étroite ou vile. Je suis le centre de cette solitude, l’âme ou le cœur vers qui tout converge. L’eau qui coule, le vent, les arbres,