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V

Il est bien évident qu’un instrument ne possédant qu’une seule corde peut à la rigueur ne pas avoir de manche proprement dit, et qu’il sera toujours possible d’y doigter tant bien que mal, surtout à la première position, la seule connue et pratiquée avant le xviie siècle.

Mais il ne saurait en être de même avec un instrument monté d’un certain nombre de cordes, car il est indispensable, alors, que les doigts puissent les atteindre toutes.

Le crouth, à trois ou à six cordes, ne pouvait donc se passer d’un manche ; et si l’on y voit ce manche encadré, ou plutôt encastré, dans la table, c’est, il ne faut pas l’oublier, parce que le crouth, imité d’une ancienne lyre pincée, avait conservé de celle ci les deux montants ou supports qui soutenaient le cheviller ; lesquels devinrent des contreforts très utiles au manche du crouth, qui, placé au même plan, et horizontalement avec la table, n’était pas renversé en arrière comme celui du violon, et ne pouvait avoir, par conséquent, la force nécessaire pour résister au tirage des cordes.

La présence de cet encadrement du manche, qui devait être si incommode pour l’exécutant, ne s’explique donc que parce qu’il existait déjà sur l’instrument ayant servi de modèle pour les premiers crouths, et aussi, à cause de la solidité qu’il apportait à ceux-ci. Mais du jour où l’on eut l’idée de construire le manche presque aussi épais que la caisse ou de le renverser légèrement en arrière, afin de lui donner ainsi toute la résistance désirée, l’encadrement devenant inutile fut supprimé, ce qui rendit l’instrument plus élégant, plus commode, et il a fallu tout le respect de la tradition, inhérent à la race bretonne, pour que le crouth nous fût conservé dans son état primitif, jusqu’aux premières années du xixe siècle.