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celui qui nous fait voir la réalité sous son vrai jour, qui la reçoit sans prévention, l’étudie, l’analyse et l’accepte telle qu’elle est, la pénètre et s’en pénètre surtout, sans y mettre du sien, en cherchant la vérité qui se cache sous ses mobiles apparences. Son imagination s’interposait entre son regard et les choses, et ne lui en permettait pas toujours la claire vision. Ses paysages d’Orient ne ressemblent en rien à ceux qu’a si bien vus et si bien décrits Chateaubriand. C’est que Chateaubriand les voyait en artiste et Lamartine en poète. Il en était de même pour les événements et les hommes, et leurs œuvres d’histoire s’en ressentent : on comprend très bien l’exclamation de Chateaubriand à la lecture des Girondins. « Le malheureux ! il a doré la guillotine ! » Cette impossibilité de s’en tenir à la nature, cette faculté d’embellissement involontaire se retrouvent dans presque toutes ses descriptions et ses portraits. Nous pouvons en juger par ceux de nos contemporains que nous avons connus et qu’il a dépeints. Il a fait, par exemple, dans son cours de littérature, un portrait de Louis de Ronchaud au physique qui est aussi loin de la réalité que possible ; au moral, il n’a rien dit de trop : l’homme, l’ami, l’écrivain méritaient les éloges charmants qu’il lui prodigue à juste titre, et du poète il eût pu dire encore davantage.

Ce prisme qui lui faisait jeter ainsi sur toutes