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Je vois encore Lamartine, calme, grave, impassible, les bras croisés, disant : « Quel que soit le sens de cette manifestation, nous n’en sommes pas moins à la merci des conspirateurs et des factieux, ils peuvent nous jeter par les fenêtres, si bon leur semble. Quant à moi, je suis bien décidé : je ne sortirai d’ici que les pieds en avant. » Et, dans sa bouche, ce n’étaient pas de vaines paroles.

Ici-bas, rien ne dure : cette dictature de l’éloquence, cette popularité du génie ne pouvaient avoir qu’un temps. Il fut court. Les conservateurs, remis de leur frayeur, ne pardonnèrent pas à Lamartine de n’avoir pas voulu se séparer de Ledru-Rollin ; et le peuple, égaré par les sophismes de Louis Blanc et les excitations des chefs de clubs, se lassa d’attendre et de l’entendre. On a blâmé Lamartine de cette ligne de conduite, et on a eu tort. Certes, s’il eût été un vulgaire ambitieux, la partie était belle : il n’avait qu’un mot à dire et à répudier son collègue, et toute la France l’acclamait. Oui, mais à Paris, c’était le signal de la guerre civile, c’étaient les journées de Juin, trois mois plus tôt. L’idée d’acheter le pouvoir au prix du sang de ses concitoyens l’eût fait frémir d’horreur. Il y sacrifia sa popularité, et il dut le prévoir. Cependant, qui sait ? peut-être eut-il aussi sa part d’illusion. Il put se dire qu’il reconquerrait facilement cette faveur populaire