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grandeur de rhoinnie. L'action l'emporte sur la pensée de toute la beauté de la volonté accomplie » (1). Mais du moins il ne laissera pas s'émousser entre ses mains les deux seules armes dont l'inclémence d'une époque paci- fique lui permet le libre usage : la plume et la parole. Il se fera l'historien et lejuge des gestes d'autrui. 11 sera le poète des exploits qu'il n'a pas consommés et auxquels il eût tant désiré prendre part ; il sera le critique des œuvres nouvelles et des hommes nouveaux. Ainsi, il ne s'anéantira pas dans l'oisiveté d'une existence sans profit; il combattra, malgré tout, en désespéré, et son honneur sera sauf.

C'est de cette manière qu'il a conçu ses romans de r Ensorcelée et du Clicvalier Des Touches. Là guerre des Chouans est l'œuvre de ses aïeux ; en la racontant, ce sont des papiers de famille qu'il livre à l'adniiration publique. Et c'est pourquoi il se décerne le mandat d'historien. D'historien? non ! je me trompe. La froideur de l'histoire glacerait son esprit ardent. Il s'en institue plutôt le poète épique : car alors il pourra satisfaire plus facilement ses besoins d'héroïsme. L'historien fait '< revivre » les actions d'autrefois; Barbey d'Aurevilly veut les « vivre » pour son propre compte. Il écrira donc, en vrai poète, dans le feu des batailles, en pleine mêlée, sous les coups de mousquet, — sans se soucier nullement du recul des événements.

Mais ce n'est pas assez encore pour suppléer à son amour déçu de l'action. Il sent bien que, même en par- tageant le plus possible la vie de ses héros, il se trouve dupe de son imagination. Il a beau se donner l'illusion de combattre avec eux ; il se rend compte, au fond de son

(1) Ce qui ne meurt pas (éd. Lemerre, 1884, in-12), p. 409.