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mal que bien, — en des vers dont l'inspiration est géné- reuse. Par là, il s'est consolé des tendances de l'époque, qui étaient pour la paix à tout prix. Par là aussi, il a creusé d'une main légère, mais décidée, l'abîme qui devait le séparer à jamais des ambitions pacifiques du XIX^ siècle.

Il n'est pas jusque dans sa Léa où d'Aurevilly n'ait mis, peut-être à son insu, — lui, le démocrate de la Revue de Caen, — son àme inflexiblement aristocratique. La poitrinaire Léa et son ami Réginald de Beaugency ne sont pas des êtres communs. Ils habitent des régions supérieures à la terre qui porte les humbles mortels. Ils vivent dans une atmosphère d'oisiveté dorée, de goûts artistiques à part et même de maladies choisies. Ils ont une distinction raffinée dans leurs causeries, dans leurs aspirations, voire dans leur manière de mourir. Bref, ils sont une élite. S'il avait voulu montrer la sincé- rité de ses croyances républicaines, combien d'Aurevilly eût mieux fait de jeter la sonde dans les milieux popu- laires et d'en rapporter, palpitant de vie vraiment humaine, un cœur plébéien. Mais il ne le pouvait pas. Toujours les sirènes du passé chantaient en lui leurs chansons d'asservissement et murmuraient à ses oreilles leurs lamentables cantilônes !

Dès lors, il se croit sans cesse obligé par ses attitudes, par ses paroles, par ses silences mêmes plus méprisants que ses discours, de crier à tout propos ses sympathies pour le passé et son horreur du présent. Jusqu'à la fin de sa vie, il gardera ces fières allures de dédain en face des novateurs pohtiques et à l'endroit des innovations sociales. Aucune des révolutions, qui ont bouleversé de fond en comble la société française au XIX^ siècle, n'ébranlera sa conviction. Les leçons de l'histoire contemporaine ne

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