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en partait pour rctouriior au centre du sien... Oui, notre amour, — cet amour, qui avait connnencé par la haine et nui avait bu du sang pour s'éterniser, — était surtout physique et sauvage. Seulement, la possession, ordinairement si meurtrière, le vivifiait, l'accroissait, au lieu de l'anéantir. 11 n'avait pas les langueurs rêveuses ni les contemplations muettes qui prennent les amants rassasiés et les rejettent à la vie de l'âme, entre deux bouchées de caresses. Mais c'est que les sens fatigués n'étaient jamais assouvis ! Velhni, d'entre toutes les femmes peut-être, était la seule qui savait en éterniser les voluptés délirantes ». (1)

Nous voici loin de Raimbaud de Maulévrier et de Béran- gère de Gesvres, — et nous voici bien près du réalisme. Ce qui sauve d'Aurevilly, c'est l'éclat romantique de la forme, — c'est aussi l'opposition, non moins romantique, de cet amour furibond des deux esclaves passionnés et de l'amour honnête des deux époux, — c'est le contraste, fort goûté de la génération de 1830, entre la passion qui avilit et l'amour qui élève, — c'est, en un mot, le procédé cher aux disciples de Chateaubriand et compris à la manière très personnelle de Barbey : l'antithèse, la puis- sante et victorieuse antithèse. Malgré tout, on commence à discerner la part du réalisme dans l'évolution du talent de l'écrivain normand.

Au reste, l'auteur de la Bague (fAnnibal n'a pas dit son dernier mot. 11 médite d'autres créations d'un roman- tisme à la fois plus rassis et également émouvant. Il a mieux à faire qu'à mettre perpétuellement aux prises le vice et la vertu, comme les << Imaginatifs » à court d'in- ventions nouvelles ; lui, il est toujours en ébullition

(i) Une Vieille Maîtresse (éd. Lemerre, tome I. p. 19^ et 193).