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sont souvent connexes et concomitantes. Tout dépend de l'usage qu'on fait delà liberté. En fut-on longtemps privé, alors on va tout droit aux extrêmes et aux excès. On frappe d'estoc et de taille, à droite et à gauche, partout et à outrance. On ne respecte rien.

Il faut bien préciser, d'ailleurs, le genre de roman- tisme que l'étudiant de Caen défendait à sa manière, plutôt bruyante et peut-être maladroite. A son origine, avec Chateaubriand, Lamartine et Victor Hugo, le romantisme était d'essence aristocratique, catholique et royaliste : il avait applaudi à la double restauration du culte romain et des Bourbons. Mais, après 1S3(), il fait une conversion à gauche. Bientôt les romantiques sont païens, libéraux et démocrates. C'est cette seconde forme du romantisme transfiguré qu'embrasse avec ardeur le fougueux Barbey. La Revue de Caen est «libre-penseuse », républicaine et même saint- simouienne : elle bat en brèche les fervents du trône et de l'autel, les « carlistes » et les « philippistes », tous ceux qui à un degré quelcon- que représentent le passé. Elle n'a de tendresses et de sourires que pour l'avenir, pour ce lendemain encore nuageux qui apparaît d'autant plus beau aux regards des jeunes gens qu'il est entouré de plus de mystères et semble gros d'imprévu.

En attendant que se dessinent en un relief plus accusé les destinées de la France nouvelle, Jules Barbey risque ses premiers essais littéraires. Il publie sa dolente et poi- trinaire Léci, qu'il a composée pendant les tristes heures de solitude en sa chambrette de la place Malherbe. Dans cette histoire d'une malade défaillante qui est aimée par un rêveur déséquilibré, il a donné libre carrière à ses propres alanguissements et à ses tortures intimes. Le choix du sujet est bien romantique; la forme l'est davan-