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la passion qui gronde, qui éclate et qui déborde, exaspé- rée, en des œuvres tumultueuses et troubles, telles qu'en rêvait alors le fils des Chouans de Basse-Normandie.

Cette passion ne se fait point jour dans les vers ou la prose poétique de Maurice de Guérin ; mais elle passe et retentit, stridente et enflammée, dans ses conversations avec Jules Barbey et prolonge son écho dans les lettres où il déversait le trop-plein de son âme. Les Meniorcmda de d'Aurevilly en font foi, à maintes reprises. « Les passions commenceraient-elles à se soulever dans celui-ci ? » note l'auteur d'Amaïdée en parlant de l'auteur du Cev taure, à la date du 24 juin 1838. Et plus loin, le 24 juillet, il ajoute: « Le dernier mot sur sa nature enthousiaste et anti-enthousiaste n'est pas dit ». Ailleurs, le 30 septembre, je trouve dans le journal de Barbey cette parole décisive : « Pourquoi Guérin est-il toujours sans verve et sans entrain chez lui, tandis que chez moi il se soulève ? » Ah ! pourquoi? c'est qu'il fallait au malheureux poète, déjà marqué par la mort, un souffle de feu comme celui du peintre de Léa, pour faire résonner les plus intimes cordes vibrantes de son être meurtri. L'ancien .étudiant de Caen, qui prisait tant pour lui-même le grand air de la liberté, comprit que son ami avait besoin d'un foyer pour panser les blessures secrètes de son âme et aviver la flamme de son esprit : il l'amena peu à peu, comme un enfant timide, vers l'amour : il lui suggéra les douceurs de la vie d'époux, l'obligea même en quelque sorte à se marier et à devenir jaloux de sa femme. Par là, il eût assuré au pauvre oiseau, qui avait la nostalgie des campagnes natales, une existence de bonheur, à l'abri des nécessités matérielles et dans une atmosphère propice au travail fécond, si l'implacable destinée l'avait permis.